Renouveler l'histoire du Kaiserreich ? Perspectives critiques sur l'Empire allemand (1871-1918)
DATE LIMITE : 01/07/2022
Argumentaire
Ces dernières années, l’Empire allemand (Deutsches Kaiserreich), fondé en 1871 à la suite de la victoire des États allemands coalisés contre la France durant la guerre de 1870, se retrouve au cœur de l’actualité allemande, tant dans le débat historique que public : du génocide des Herero et des Nama jusqu’aux demandes d’indemnisation de la famille Hohenzollern héritière du dernier empereur Guillaume II, du supposé degré de modernisation et de démocratisation du Reich, sans bien sûr oublier la question des responsabilités de la Première Guerre mondiale – reposée à nouveaux frais en 2012 par l’historien britannique Christopher Clark –, jusqu’aux tentatives de réhabilitation de la Prusse, notamment par l’extrême-droite. Tous ces sujets débattus passionnément dans les universités, mais aussi dans la presse écrite et audiovisuelle, débouchent souvent sur un point de passage, pour ne pas dire d’arrivée, obligatoire : la période nationale- socialiste. Le Kaiserreich, en tant que structure politique spécifique avec ses symboles et les formations sociales qui lui sont rattachées, a-t-il préfiguré le régime nazi en instaurant une pensée de sujétion et un penchant pour l’autoritarisme chez les Allemandes et Allemands ? Peut-on considérer la période qui s’étend de 1871 à 1918 comme une étape ou, au contraire, en référence à la thèse classique et toujours citée de Heinrich August Winkler, une déviation du « long chemin vers l’Occident» de l’histoire allemande ? Est-il le symptôme d’un mé-développement (Fehlentwicklung), à rebours de la modernité occidentale – à supposer qu’elle existe – incarnée par la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis d’Amérique ? Est-il l’expression d’une Allemagne comme « nation retardée » ? Bref, a-t-il mené en ligne droite à la prise de pouvoir d’Hitler ? Ou a- t-il a minima rendu possible et pensable cette prise de pouvoir ?
Reprendre les anciens modèles qui pensent le Kaiserreich a posteriori, en décrivant l’histoire de l’Empire par la fin, n’est plus fructueux depuis longtemps, bien que ceux-ci paraissent difficilement disparaître complètement du champ de vision de l’historiographie. À en juger par la production historiographique depuis 1945 ou, du moins, depuis les années 1960-1970, c’est comme si toute son histoire ne pouvait faire l’économie d’une réflexion sur le lien entre 1871 et 1933. Ainsi, bien que battue en brèche depuis les années 1990, la théorie du Sonderweg (« la voie particulière allemande ») semble toujours hanter l’histoire et l’historiographie allemandes, tel un fantôme dont on n’arriverait pas à se débarrasser. Même si c’est pour la rejeter aussitôt, sans aucune forme d’argumentation approfondie, nombre d’historiennes et d’historiens ne peuvent s’empêcher de la reprendre et de l’amender et, donc, de contribuer à la perpétuation d’un débat qui n’en est plus vraiment un depuis la fin du XXe siècle. Quiconque écrit alors une histoire de l’Empire allemand est pris malgré lui dans des logiques souvent bien plus politiques qu’épistémologiques. Voilà les paradoxes qui ont conduit à l’élaboration de ce colloque, qui ne propose rien de moins que de dépasser (enfin ?) véritablement cette perspective.
Comment, dès lors, renouveler l’histoire du Kaiserreich sans transformer ce dernier en surface de projection à des positionnements politiques actuels ? Peut-on écrire son histoire sans écrire par extension celle de la prise du pouvoir par les nazis ? Quels renouvellements récents apportent une contribution réelle à la compréhension du premier « État-nation » de l’histoire allemande, de sa société et de ses structures ? Une histoire comparée ou transnationale peut-elle renouveler la vision que portent les historiennes et historiens sur l’Empire allemand ? Voici les questionnements qui seront les nôtres.
Les discussions que nous entendons mener pendant ce colloque sont d’ordre épistémologique et historiographique, en prenant appui sur les recherches récentes sur l’Empire allemand. Il ne s’agit pas d’accumuler les études de cas précises ou, à l’inverse, de multiplier les recensions érudites. Au contraire, nous ambitionnons de remettre en question les paradigmes plus ou moins explicites, de les questionner et de les discuter, de poser à nouveaux frais des questionnements parfois anciens à la lumière des apports récents. Dans ce but, nous souhaitons que cette rencontre contribue à faire dialoguer les historiographies en décentrant le regard et en tentant des comparaisons avec d’autres aires et d’autres préoccupations, d’autres questionnements épistémologiques et historiographiques. On ne peut, en effet, que constater le déclin des échanges historiographiques franco-allemands depuis le début des années 2000 au sujet du Kaiserreich, et plus généralement des espaces germaniques au XIXe siècle, alors même que ces champs historiques ont fait l’objet d’un riche dialogue dans les années 1980-1990 et qu’ils ont été depuis largement renouvelés, que ce soit par l’historiographie germanophone ou anglophone.