Dominer la nature, naturaliser les dominations. Quelle est la nature de la nature ?
Argumentaire :
La naturalisation d’un phénomène social est, dès l’Antiquité, une stratégie utilisée par certains groupes sociaux pour imposer des rapports de domination : c’est par exemple le cas de la réification des esclaves. Cependant, les éléments associés à la « nature », et la définition même de ce qu’est la « nature », changent selon les contextes et les configurations sociales. Nous souhaitons interroger ces usages des catégories « naturelles », ainsi que le double-sens du mot « nature » : elle est à la fois un espace opposé aux espaces culturels, et une identité perçue comme intrinsèque aux individus. Nous nous intéressons tout particulièrement aux liens qui sont parfois faits entre ces deux définitions dans un but de contrôle social, ainsi qu’à la remise en cause de ces phénomènes.
La naturalisation des dominations sociales est un phénomène connu, qui s’applique notamment dans le champ de la classe, du genre et de la race. En attribuant des caractéristiques physiques à la pauvreté, en identifiant le sexe avec le genre et en leur attribuant des caractéristiques sociales, ou en créant une division ethnique de la société autour de la race, de nombreux phénomènes de domination ont été rendus évidents en les biologisant. De la même manière, la constitution d’une identité collective pour un peuple (l’ethnogenèse et les récits des origines étudiés par Magali Coumert) a pu contribuer à rendre évidente, naturelle, l’organisation de nombreuses sociétés. Si ces phénomènes sont connus, leurs critiques et leurs remises en cause sont également d’un grand intérêt pour analyser leur construction.
Le mouvement inverse, mais complémentaire du premier, est celui de la domination de l’environnement, en créant une « nature » radicalement différente de la sphère humaine (la « culture »). Par cette différence, il est devenu concevable de s’extraire de la nature, et donc de pouvoir l’exploiter à des fins productives. Cette différence a été construite par des discours (Descartes qui fait l’homme « comme maître et possesseur de la nature »), mais aussi par des pratiques comme la cartographie, analysées en histoire ou en géographie. Ce « grand partage », remis en cause dès les travaux de Philippe Descola, puis par la crise écologique et les questionnements sur l’impact de l’humanité, a également été mis au service des catégories sociales dominantes.
C’est le croisement entre ces deux analyses (naturalisation des dominations sociales, domination naturalisée sur l’environnement) qui nous intéresse tout particulièrement. Sa remise en cause dans le champ scientifique, dans le sillage des questionnements politiques sur l’intersectionnalité des luttes à partir des années 1990, s’est d’abord porté sur la domination de l’Occident hors d’Europe lors de la colonisation, où la domination sur les corps a permis de justifier l’exploitation d’une nature construite comme vide, ce que montre bien Sylvia Federici. Cependant, de nombreux aspects de cette construction croisée restent à analyser, notamment la production de discours justificatifs, la construction du cadre juridique permettant cette domination, ou la concrétisation des rapports de force. On peut aller jusqu’à évoquer aussi des résistances à ces dominations, voire un retournement de la logique de naturalisation en faveur de l’émancipation des dominé.e.s : les écoféministes, tout en dénonçant la naturalisation ⋅ ⋅ des femmes par le patriarcat, cherchent à se réapproprier la nature et à construire une autre forme de rapport à elle. Il peut également être intéressant de s’intéresser à certaines figures jouant avec ces frontières (comme celle de François d’Assise, qui remet en cause tant la domination sociale de l’institution cléricale qu’humaine sur la nature), ou à des moments qui cristallisent ces conflits (l’esclavage, la crise des enclosures analysée par Thompson…).
Afin de donner plus d’ampleur à cette analyse croisée, nous voulons ouvrir ce colloque à des chercheuses et chercheurs de toutes les périodes historiques et de toutes les sciences humaines (notamment des géographes et des anthropologues). Les thèmes déjà évoqués offrent une base de propositions, mais nous sommes ouvert.e.s à toute communication qui aborderait ces problématiques générales sous un autre angle. Le choix de proposer ce colloque pendant les vacances scolaires est aussi une invitation à la participation de collègues en poste dans le secondaire, afin de diversifier les profils des participant.e.s et d’enrichir les discussions.
Afin de diversifier le type d’interventions et de permettre des discussions plus variées sur ce sujet, nous acceptons aussi bien des interventions classiques (20 minutes de prise de parole, 10 minutes de question), que des propositions d’ateliers plus personnalisés, pouvant être animés par un.e ou plusieurs doctorant.e.s, et prendre des formes variées (pour une durée de 30 minutes).
La proposition de communication ou d’atelier devra faire une page maximum, et être envoyée avant le lundi 24 mai à l’adresse : colloquenature@protonmail.com. Les réponses seront données aux candidat-e-s fin juin et le colloque se tiendra au Campus Condorcet, Centre des Colloques, les 2 et 3 novembre 2021.